Arnold_Je vous écris de Benoît Labre

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« Heureusement, quelqu’un m’a tendu la main et m’a trouvé une chambre dans un foyer de Vitré. »

Rennes, le 28 septembre 2022

Très cher Benoît Labre,

J’ai eu deux vies. L’une, normale, heureuse, de mon enfance jusqu’à la fin des années 90. L’autre, malheureuse, où tout est parti en vrille, le travail, la famille, la santé. Deux vies, plus une, improbable: celle que tu m’offres, depuis six ans, à la résidence Daniel Ravier, très cher Benoît Labre.

Je suis l’aîné des quatre garçons d’une famille de huit enfants. Je suis né en Allemagne, le pays de mon père, il y a 58 ans. Très vite, à 4,5 ans, on est venu vivre à Annonay en Ardèche, à équidistance de Lyon, Saint-Etienne et Valence, où vit la famille de ma mère.

Maternelle et primaire privées, collège public, un CAP de pâtisserie obtenu de justesse grâce aux points gagnés avec le sport… De mon enfance ardéchoise, de mes vacances passées à la ferme de Tata Yvette et Tonton Albert, le garçon timide et réservé que j’étais ne garde que de très beaux souvenirs. C’est là que j’ai appris l’amour de la nature, des bons produits de la ferme, appris à monter à cheval. J’ai joué au football à Roiffieux, à Annonay et c’est là que j’avais été repéré par l’Olympique Lyonnais pour mes qualités de footballeur comme défenseur chez les minimes.

Comme je n’ai pas voulu continuer l’école, j’ai commencé à travailler à 16,5 ans dans des cantines ou des cuisines centrales, au lycée Boissy d’Anglas à Annonay, puis à Grenoble, à Valence... C’est aussi en Ardèche que j’ai connu Marie-Thérèse. J’avais 23 ans, elle 16. Première danse, premier amour! Devant les quatre parents. Elle était belle….

Agent technique territoriale, elle a été mutée à Etrelles, en 1994. C’est comme ça que je suis venu habiter à Saint-Aubin des Landes d’abord, Etrelles puis Vitré. Au bout de trois jours, j’avais du travail, chez Panavi d’abord, dans plusieurs boites d’agroalimentaire ensuite. Avec la naissance des trois filles, on a déménagé à Etrelles. L’aînée va avoir 25 ans, deux sont étudiantes, l’autre travaille.

Une vie normale et dense: je faisais toujours du foot à Etrelles. Pendant 7 ans, j’ai été membre de la commission culturelle à la mairie. On m’a même sollicité pour que je me présente aux élections pour être conseiller municipal. Mais bon, les horaires décalés de mon travail, les réunions… On ne peut pas tout faire.

C’est là que commence ma deuxième vie. Beaucoup moins enviable. J’ai commencé à boire à partir de ma retraite de footballeur, en 2001. A boire de plus en plus. A devenir violent. C’est ça la cause de notre séparation. Plus tard, il y a eu la mort de mon père en 2013, de ma mère en 2014, le chômage. Tout ça en même temps. J’étais déprimé.

Et là, les choses s’accélèrent. A notre séparation, ma femme a gardé la maison et obtenu la garde des enfants. J’ai failli me retrouver à la rue. Heureusement, je connaissais quelqu’un qui m’a trouvé une chambre dans un foyer du Centre de promotion sociale de Vitré, pendant six mois, en attendant une place en maison-relais.

Et c’est là qu’à cause de l’alcool, j’ai eu un accident vasculaire cérébral le 5 octobre 2012. J’avais un rendez-vous avec la responsable de la maison relais. Ne me voyant pas venir, elle m’a trouvé dans ma chambre, au plus mal. Elle m’a sauvé la vie…

Quatre mois et demi d’hôpital. Perte de l’ouïe et de la vue gauches, gros problèmes d’élocution, bégaiements… Toute la partie gauche de mon corps ne fonctionnait plus. Pour réparer tout ça, j’ai fait du théâtre, de la sophrologie, de la relaxation, beaucoup de marche, du suivi psychologique…

J’ai retrouvé du travail en cuisine centrale, à Vitré, un petit contrat jusqu’en 2016. Mais même si je ne buvais plus, mon médecin m’a demandé d’arrêter de travailler. J’ai seulement eu le droit de faire du bénévolat. Aux Restos du cœur, plus tard, à Rennes, au tri et à la distribution des produits. Mais depuis 2016, je touche l’AAH.

Et c’est là que commence ma troisième vie, inattendue, sous ton toit, cher Benoît Labre. Je suis arrivé ici, à la résidence Daniel Ravier, en août 2016, surtout pour me rapprocher de mes médecins. Les débuts ont été difficiles. J’étais vraiment perdu. A cause de mon accident vasculaire cérébral, je prenais les bus dans le mauvais sens pour venir à la résidence. Depuis trois ans, ma femme et moi, on ne se parlait plus…

Et puis, un jour, une des filles a fait une fugue. La maman m’a appelé! Le lendemain matin, elle était ici, pour qu’on se reparle. Ca fait cinq ans qu’on se reparle. Grâce à une bêtise!

On a fait Noël et le jour de l’An ensemble, tous les ans. Je suis allé chez elle plusieurs fois. On échange par téléphone, par visio et, si elle a besoin de venir à Rennes, elle vient manger ici. Elle a séjourné chez moi une semaine, le temps de l’hospitalisation d’une des filles. En Ardèche aussi, elle fait toujours partie de la famille. Même s’il n’est pas question de se remettre ensemble.

Maintenant, chez moi, c’est ici. Au pied de la résidence, il y a le bus, le métro maintenant, les commerces, la banque. Et grâce à Benoît Labre, j’ai une vie sociale, des responsabilités.

Même si rien n’est obligatoire, je participe à beaucoup d’activités, aux séances de relaxation, aux ateliers cuisine où je fais des desserts, aux visites d’expositions, aux marches dans les parcs rennais, aux sorties.

Avant, je ne lisais pas, maintenant, je suis un dévoreur de livres. J’utilise beaucoup Internet. Le lundi, parfois, je vais aider à chercher les dons alimentaires à la cuisine centrale, au Bois Rondel. Les fins de mois sont parfois difficiles pour certains…  Moi, ça va: je paie 190 € de loyer, mais j’ai 345 € d’APL.

Je suis délégué départemental pour les personnes accueillies et accompagnées. Ca consiste à proposer des améliorations sociales, culturelles, alimentaires, à faciliter l’accès à la santé, au numérique. Le but c’est d’échanger des idées avec les structures sociales de toute la Bretagne et de les faire remonter dans les ministères. Parfois, je vais à Paris…

Et, ici, je suis membre du comité des résidents depuis près de cinq ans. Je rapporte tout ce qui va et ce qui ne va pas, dans la résidence, à la responsable. Par exemple, je voudrais qu’on aménage un petit coin informatique pour les quinze ou vingt résidents qui n’ont pas Internet.

Je me sens bien, fier. Ce qui m’a marqué, en arrivant ici, c’est la qualité de service, les sourires, le tutoiement, la richesse des relations humaines, que ce soit au Bois Rondel ou ici. Il n’y a que du positif.

Je peux dire, très cher Benoît Labre, que je suis heureux ici et fier.

Arnold.

 

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