Colette_Je vous écris de Benoît Labre

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« A Daniel Ravier, j’ai découvert une vie de famille. On rigole, on cuisine, je fais des crêpes, on va au marché. Avant, je ne sortais pas. Là, je sors tout le temps. »

Rennes, le 7 mars 2023

Pauline et Nelly, Nelly et Pauline,

Peu importe l’ordre : je vous aime toutes les deux. Depuis trois mois que je vis ici, à la résidence Daniel Ravier, c’est la première fois, à 62 ans, que j’ai une famille. Je n’en ai jamais eu avant, ni comme enfant, ni comme épouse. Je n’en veux à personne. Chacun, parent ou mari, porte en héritage les problèmes des autres.

J’étais malade d’être dans ma famille. A 15 ans, je ne mangeais plus, ne dormais plus, ne parlais plus, n’allais plus à l’école. Je voyais la mort, je voulais en finir.

J’ai été hospitalisée en urgence à l’Espérance, une clinique psychiatrique de Rennes. J’ai fait une cure de sommeil d’une semaine. Je m’y trouvais bien. Je mangeais, on me surveillait, on faisait des soirées. Des tantes venaient me voir. Mes parents, je ne sais pas… J’ai été hospitalisée pendant un mois et suivie pendant 4 ans. Ça m’a sauvée. Peut-être parce qu’on s’occupait de moi…

Mon père était très fragile. Il avait fait la guerre. Il souffrait énormément de l’union avec ma mère. Il se pendait régulièrement. Combien de fois on a coupé la corde ! Je n’ai jamais parlé à mon père, jamais osé. Il a fini en psychiatrie.

Ma mère, je la trouvais dure, même avec mon père, mais elle ne s’en rendait pas compte. Elle a eu une enfance difficile aussi, une mère alcoolique. Pourtant, je l’aimais. Elle devait m’aimer, elle aussi, à sa façon. Je ne sais pas.

Après l’hôpital, je suis revenue chez moi, mais sans être beaucoup à la maison. Je suis allée au collège de Tinténiac, pendant trois-quatre ans. J’étais toujours suivie, mais j’allais mieux. Le soir je rentrais directement dans ma chambre ; le week-end, je sortais ; l’été je faisais des colos, je gardais les enfants de mes professeurs. M’éclipser de la famille.

A 18 ans, j’ai eu un copain. J’ai laissé tomber le BEP sanitaire et social que je préparais. Ce que je n’aurais pas dû faire. Mais je n’en pouvais plus d’être à la maison. A 19 ans, j’ai connu un autre homme, mon futur mari. J’ai connu le bon et le mauvais. J’ai pris le mauvais. On reproduit ce qu’on a subi. Je me suis trompée.

Dès que je me suis mise en ménage avec lui, ça ne se passait pas bien, mais ça ne se voyait pas. Il était très doux en apparence. En fait, il ne supportait pas ses enfants, il se contenait, et tout à coup explosait.

On a eu trois enfants. Deux filles, qui ont dû aller en foyer d’accueil, à 8 et 12 ans, pour les protéger. Elles s’en sont sorties : Bac + 5 pour l’une, qui travaille dans l’assurance, responsable d’un grand magasin pour l’autre. Et un fils, plus âgé, qui a tout pris dans la figure. Il ne s’entendait pas avec son père. Ils se battaient. Il plaquait son fils contre le mur, il devenait tout blanc…

Je me disais : mais qu’est-ce qu’on va devenir ? Comment un père peut faire ça à son fils ? Ça m’a fait mal. J’ai fait le choix de ne plus travailler, de revenir à la maison pour protéger mon fils. Mais il a mal fini… Alcool, drogue, de 13 à 23 ans, les voyous, puis la maladie, la tuberculose…

Et puis, mon mari était quelqu’un à qui il fallait céder, sur tout, les choses matérielles, sexuelles. Il n’avait jamais d’argent. Il faisait des grosses crises, jusqu’à ce que je cède. Quand je cédais, comme par hasard, il y avait de l’argent ! Plus je souffrais de le voir ainsi, plus je luis cédais. L’engrenage. J’avais peur de lui, peur de partir, peur d’être violée, peur de ne pas m’en sortir, peur de mal faire, peur d’être rabaissée. J’étais emprisonnée dans la peur. Je ne m’en sortais pas. Et toute la famille a mis ça sur mon dos. Quand vous êtes allée en psychiatrie à 15 ans, que vous avez été suivie pendant 23 ans, personne ne veut plus vous croire. Donc, je me taisais.

J’étais sous emprise. Mais je reste indulgente. Il a reproduit ce qu’il a subi. Un père alcoolique, qui se lançait la tête dans le mur, qui ne l’aimait pas, qui lui infligeait des coups de pinces chaudes sur le dos, des fessées. Sa mère qui lui avait mis un coup de couteau, qui l’a mis dehors, avec sa valise. Son frère, décédé, qui a fait de la prison pour avoir violé sa fille pendant sept ans. Violences, viols, maltraitance, toute sa famille est comme ça. Comme si on héritait de la violence des autres. Responsable et pas responsable.

On peut être lucide sur sa situation et ne pas savoir s’en sortir. J’ai eu envie de partir… Pourtant, je suis restée. Plus je restais, moins je m’en sortais. On peut aimer quelqu’un avec qui on est malheureux. Je dirais même que plus on est malheureux, plus on reste. Et moi, je suis restée longtemps. Je ne suis partie qu’à 58 ans, il y a 4 ans. 43 ans avec lui…

Je suis partie d’un coup. Comme d’habitude, il regardait ses films violents. J’étais couchée. Je me suis relevée, habillée, j’ai pris deux-trois affaires, et j’ai filé chez ma mère. J’y suis restée trois mois. La commune de La Mézière m’a trouvé un logement, j’étais trop contente. Mais j’étais dans la galère, je n’avais pas d’argent, pas de carnet de chèques, pas de carte bancaire, pas d’aides, pas de voiture, indispensable faute de bus.

Après, et j’en passe, il y a eu des allers et retours chez mon mari, le divorce, en 2020… J’ai eu du mal à divorcer, à prendre la décision. Au début, il me manquait. Je suis retombée mal, j’ai fini à Guillaume Régnier, qui m’a proposé trois mois d’hôtel, à la sortie, le temps que je vienne enfin ici. Que je vous connaisse, Nelly et Pauline.

En fait, je n’étais soutenue ni d’un côté ni de l’autre. Je n’avais pas d’aide. Partir, mais comment ? Pour aller où ? Comment faire quand on n’a plus de travail, pas d’argent, rien. Qui va me croire, mon mari est si gentil en apparence ? Même ma fille pensait que j’étais gâtée. Je n’étais ni libre, ni autonome. Pour partir, il faut avoir les moyens de partir, un revenu, un point de chute, des conseils.

Ici, à la résidence Daniel Ravier, j’ai trouvé la sérénité. J’ai un bon logement, je touche mes allocations, je fais mes comptes moi-même. Les résidents se respectent. J’ai découvert les relations, une vie de famille, choses que je ne connaissais pas ça. On rigole, moi qui n’ai jamais eu le droit de rigoler. On cuisine, je fais des crêpes, on va au marché. Avant, je ne sortais pas. Là, je sors tout le temps.

Ici, j’ai trouvé la sécurité. J’ai le sentiment d’avoir sauvé mes filles, même si elles ne m’aiment pas, et c’est le plus important. Je vais à l’Asfad, l’Association des femmes victimes de violences. Mon ex-mari n’a pas le droit de venir me voir. On reste amis. Je ne veux pas être mal avec lui, à cause des proches. Il n’arrête pas de me dire qu’il a changé, qu’il m’aime. Mais je n’en peux plus, je ne reviendrai pas. Je ne suis plus sous emprise.

Ici, j’ai aussi découvert la liberté. J’ai encore des petits moments difficiles, mais je vais bien, je ne sais pas pourquoi. Mes angoisses sont parties, je ne sais pas où. Je n’ai rien gardé de ma vie d’avant. C’était une sale vie. C’est du passé. J’ai tourné la page.

Qu’est-ce que je vais faire de cette liberté ? Ce que je veux, c’est oublier. Raconter, ça peut aider à oublier. Et à profiter de la vie que j’ai devant moi.

Merci Nelly et Pauline.

Colette

 

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