Eric_Je vous écris de Benoît Labre

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« Je n’ai ni papiers, ni argent. Je suis arrivé avec 20 euros et un petit sac, contenant un pantalon et un T-shirt.»

Rennes, le 19 octobre 2022.

Nayloth, mon ami, mon frère,

Je suis en France depuis environ trois mois ! Tu connais un peu mon histoire. Mais un peu seulement. Aujourd’hui, je peux et je veux t’en dire plus.

Je vais te raconter, à toi qui vis à Paris, comment l’honnête négociant en ciment de Pointe-Noire que j’étais, est devenu l’ennemi à abattre. Sur les bancs de notre école, jamais je n’aurais imaginé, ni même souhaité, fuir mon pays, m’exiler à 34 ans, pour échapper à la mort.

Longtemps, tu t’en souviens, j’ai fait du commerce de matériaux de construction. J’achetais à Pointe-Noire, je chargeais des wagons à destination de Brazzaville. Je suis allé à Dubaï pour du négoce, en France en novembre 2014, en Espagne, au Maroc, au Kenya, en Centrafrique. A Pointe-Noire, je travaillais en lien avec Monsieur Y., un petit-fils du président actuel, qui avait des marchés à Brazzaville. Tout allait bien.

En 2015-2016, il y a eu la guerre dans le Pool. Des affrontements meurtriers entre l’Armée et les Ninjas. Lors d’une attaque du train, deux de mes convoyeurs ont été tués. La marchandise a été endommagée et volée. J’ai dû assumer beaucoup de pertes, payer mes fournisseurs, dédommager ces deux familles à hauteur de 20 000 €. Du jour au lendemain, je n’avais plus d’argent ni d’activité.

J’ai quitté Pointe Noire pour Brazzaville. Au bout de quelques mois, Monsieur Y. m’a appelé. Il avait des marchés, on se connaissait, j’avais les contacts, l’expérience, ma carte de commerçant. On a discuté, et on est allé au siège d’une société de construction qui m’a remis un premier bon de commande de 250 tonnes à livrer sous deux semaines.

J’ai trouvé le ciment. Faute de train, j’ai fait charger des camions. J’ai tout livré dans les délais. L’entreprise m’a fait un chèque quelques semaines après. J’ai pu payer mes fournisseurs et, comme convenu, verser une part de mon bénéfice à monsieur Y. Ainsi durant plusieurs mois.

Mi-2019, je reçois un nouveau bon de commande, de 150 tonnes, que je livre. J’attends le chèque. Qui tarde. Mes fournisseurs deviennent menaçants. J’appelle l’entreprise qui me dit l’avoir remis à Monsieur Y. Qui l’a encaissé. 23 000 € !

Après bien des difficultés – Monsieur Y. habite à la Présidence – j’ai réussi à le contacter. Il nie avoir encaissé le chèque. Et me menace de poursuites si je continue à raconter, selon lui, n’importe quoi. Alors, je dépose plainte à la gendarmerie. Il est convoqué.

Et là, mon cher Nayloth, tu imagines la suite ! Il multiplie les menaces et m’écrit, par SMS, qu’il va me faire disparaître, par tous les moyens. La nuit, il envoie des hommes à ma recherche. En vain : j’ai fui à Kinkala, chez ma tante, à 76 km au sud de Brazzaville. Pendant ce temps-là, à Pointe Noire, ma famille est menacée par deux de mes quatre fournisseurs que je ne pouvais pas payer.

A Kinkala, je ne peux rien faire, je ne peux pas parler sans risquer ma vie, même pas téléphoner. Malgré tout, on a su que j’étais là. Alors, je suis parti plus loin encore, à Boko, plus de 80 km au sud, le village de ma défunte maman. Puis à Mazi. Planqué, jusque fin 2021, comme un animal traqué.

A ce moment-là, je suis cerné de toutes parts. Recherché à Brazzaville, à Pointe-Noire, partout. Menacé de mort. Interdit de séjour dans mon pays ! Mon papa, ma famille, qui vivent sous la menace, sont malades et se retournent contre moi. Ma femme, maman d’une fillette de dix ans et d’un bébé de quelques semaines, est partie chez sa mère. Là où nous vivions, à Brazzaville, les nervis de Monsieur Y. ont tout cassé. Je reçois des convocations, des menaces. Monsieur Y., qui est Mbochi, y ajoute des considérations raciales contre moi qui suis Lari. Tu vas avoir la guerre, m’écrit-il.

Fin 2021, je réussis à parler avec un oncle qui avait travaillé comme garde du corps d’un ancien Premier ministre, André Milongo. Il me demande d’être à Brazzaville avant le 12 mai 2022. Grâce à d’anciennes relations, il a monté un plan pour moi. Par sécurité, il viendra me chercher, discrètement, près de Kinkala. Direction, l’aéroport.

Je découvre qu’il a acheté un billet et fait dupliquer un passeport. On passe me faire couper les cheveux et la barbe pour que je ressemble à la photo sur le faux passeport. Il me fait accompagner par une personne que je ne connais pas. Et me voilà, à midi, dans un avion Air France, en route pour Paris ! A 21 h, je suis à Roissy. Mon « accompagnateur » me demande de lui rendre le faux passeport. Il me donne 20 € et reprend l’avion…

Là, je n’ai ni papiers, ni argent. Juste un petit sac avec un pantalon et un T-shirt. Je dors quelques nuits dans le garage d’un ami de mon oncle, à Créteil. Puis, pendant un mois, dans le métro, la rue, les bus de nuit. Jusqu’à ce qu’un frère congolais me prenne en pitié et  me mette en contact avec France Terre d’Asile.

De fil en aiguille, je me suis retrouvé ici, fin juin, dans un lieu que je préfère taire. J’ai toujours la peur dans la tête. Je reçois toujours des convocations, de Brazzaville, de Pointe-Noire. Les hommes de Monsieur Y. me cherchent toujours. Ils me croient sans doute toujours au Congo.

Il se peut que je ne revoie jamais ma famille. Je n’ai pas choisi d’être ici. Je voulais rester au pays. Si j’avais voulu m’exiler en France, c’était facile pour moi qui voyageais. Je ne pourrai jamais repartir tant que les mêmes seront au pouvoir. C’est une question de vie ou de mort. Ces gens veulent me tuer. Ils ne rendent de comptes à personne.

Tout ça à cause du détournement, par un haut placé, d’une facture de 150 tonnes de ciment. Mieux vaut avoir la foi, mon frère, mon ami, car, au Congo, on peut être honnête et se retrouver menacé de mort.

Eric.

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