Esther_Je vous écris de Benoît Labre

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« Les enfants sont scolarisés, ça se passe bien à l’école, ils sont chez eux ici. Pour moi aussi, le sentiment d’être français commence à arriver. »

Rennes, le 10 mars 2023

Mummy Elizabeth,

C’était début mai 2017. Ma fille venait d’avoir quatre ans. J’étais chez moi, dans notre maison de Lagos. Les enfants étaient à l’école, mon mari au travail, lorsque l’on a toqué à la porte. C’était la famille de mon mari. Ils se sont assis et m’ont expliqué pourquoi ils étaient là : c’est aujourd’hui que l’on va aller au village avec ta fille pour la faire…

Mummy, nous sommes une famille chrétienne, opposée à l’excision. D’ailleurs, avant, je ne savais même pas ce que c’était. Pour m’aider, me protéger, pour ne pas être stigmatisée, tu m’as toujours dit, si on me posait la question, de répondre oui, que j’étais excisée. Ça m’a sauvée pendant toutes ces années.

A cause de cette pratique, il y a des enfants malades, dépressifs, certains qui meurent, parce que c’est fait à la maison, dans des conditions épouvantables. C’est resté la tradition dans la famille de mon mari. Toutes les filles doivent s’y soumettre. Même moi, j’allais subir un examen. Celles qui ne le font pas, on dit d’elles qu’elles sont sales, qu’elles couchent partout, qu’il faut leur calmer le corps.

Mon mari, musulman, est aussi opposé à l’excision. Il me disait que sa famille avait arrêté cette tradition. Il me répétait de ne pas m’inquiéter, qu’il allait régler ça. Il a fait tout son possible. Mais il n’a pas eu la force de résister à la famille, à sa mère, à la pression sociale. Chez nous, on écoute beaucoup les parents.

Il a fait son possible pour nous protéger, mais c’était trop pour lui. J’avais déjà demandé une protection policière, mais on m’avait répondu que c’était une histoire privée. Demander le divorce ? Mais chez nous, l’enfant appartient à l’homme, à la famille du père. Moi, j’ai décidé de protéger ma fille et de me protéger moi.

Tu sais tout ça, Mummy, mais je crois que c’est nécessaire d’écrire mon histoire. Et d’expliquer pourquoi, ce jour de mai 2017, j’ai tout de suite compris ce qui se passait. La seule chose qui me venait à l’esprit, c’était : calme-toi, rigole, fais semblant d’être d’accord…

J’ai dit OK. Ma fille est à l’école, je vais la chercher, attendez-moi  ici. Je passe par ma chambre. Je prends ma carte bancaire, ma bague de mariage, quelques affaires dans mon sac à main, rien qui attire l’attention. Je file à l’école… Je ne suis jamais revenue.

Je suis partie en lieu sûr, à l’hôtel, pendant deux-trois semaines, avec ma fille et mon fils, un bébé de deux ans, le temps de faire une demande de visa, d’acheter un billet. Je n’ai rien dit à personne. Même pas à mon mari, que j’ai appelé seulement six mois après, pour lui dire où j’étais.

Avec ma boutique d’articles de naissance, que mon mari m’avait aidé à monter, j’avais de l’argent. Et surtout, je voyageais souvent pour mes achats, à Dubaï notamment. Anglophone, j’aurais dû aller aux USA, mais c’était compliqué. Le visa pour la France était le plus rapide à obtenir. Je me suis envolée le 28 mai 2017. Pour sauver ma fille. Jamais je n’avais pensé quitter mon pays.

Je passe sur toutes les péripéties parisiennes, ce contact nigérian qui a voulu profiter de moi, la faim, le froid - les enfants, 4 ans et 2 ans et trois mois, étaient frigorifiés - la langue, le manque de vêtements, les premières démarches, la gare Saint-Lazare… Pour nous réchauffer, un jour, on est montés dans un train. Il est parti. On s’est retrouvés à Saint-Lô, en Normandie !

Comme par hasard, le bureau des demandes d’asile est devant la gare. Là, j’ai fait toutes les démarches. J’ai été mise à l’hôtel, pendant deux mois, puis dans un foyer de jeunes travailleurs, à Granville. J’ai commencé à apprendre le français, avec l’association Les Mots Bleus. En un mois et demi, les enfants parlaient français. J’ai passé un diplôme d’entretien et d’hygiène. Mummy, tu ne me reconnaîtrais plus !

A Saint-Lô, j’ai essayé de trouver du boulot, aux heures où les enfants sont à l’école. Pas facile. Je voulais partir dans une grande ville, où il y a plus de possibilité de travail et de transports, comme à Rennes. Moi, je ne veux pas des aides de la Caf, je veux travailler, je veux une fiche de paie pour avoir un appartement. C’est comme ça que je suis venue à Rennes.

Pendant un temps, j’ai fait des allers-retours, avec Blablacar, parce que j’avais trouvé un emploi, un intérim dans un hôtel. J’ai dû résilier l’appartement de Saint-Lô. A Rennes, je n’avais rien, j’ai refait le 115. Et un jour, on m’a envoyé à l’ « Accueil familles », à Betton. Trop loin de Chantepie, où je travaillais, et de l’école Clemenceau, où vont mes enfants. A force de persévérance, j’ai eu un hébergement à Monsieur Vincent.

Mummy, aujourd’hui, je travaille grâce à l’association Start’Air, j’ai une fiche de paie, je suis sur une liste prioritaire pour un logement définitif, dans quelques semaines. Je vais commencer le code de la route et suivre une formation d’Atsem, pour travailler dans les écoles primaires.

Je suis en sécurité, à l’abri, j’ai un travail, un logement, les enfants sont scolarisés, ça se passe bien à l’école, ils sont chez eux ici. Même si je devais échouer dans ma vie personnelle, je ne veux pas que mes enfants échouent.

Ici, à monsieur Vincent, on fait des choses ensemble, on se donne du courage, on est nourri. Avec Jean-Philippe, mon référent, on parle bien, on rigole, il m’aide beaucoup. Je parle français, je mange comme les Blancs, je lis le journal, je vais bientôt avoir ma nationalité et je pourrai voter. Le sentiment d’être français commence à arriver. Je ne veux pas revenir au Nigeria.

Je suis contente, je suis fière, je suis heureuse, je remercie le gouvernement, l’Etat français… Depuis cinq ans que dure cet exil, ça a parfois été très dur, mais la France est un pays qui accueille, qui compte plein de structures, où les gens sont gentils. Mummy, j’ai juste envie de pleurer, parce qu’il y a des gens qui cotisent pour ça…  Je remercie les Français, et je veux leur dire qu’ils habitent un beau pays.

Esther.

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