Fanta_Je vous écris de Benoît Labre

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« Je n’avais pas mangé depuis deux jours. Une dame m’a donné tout ce que j’ai voulu… République, je n’oublierai jamais cet endroit. »

Rennes, le 21 juin 2022

Ma douce Néné (1),

Je t’écris du foyer Benoît Labre, à Rennes, plus exactement du Centre d’accueil des réfugiés, à Betton, au nord de la ville. Cela fera trois ans en septembre que j’ai quitté Conakry. Tu me manques.

Ma douce Néné, je pleure quand je pense à toi. J’aimerais que tu viennes ici, à Rennes, quelques mois. Je voudrais te raconter tout ce que j’ai vécu ici, car je ne reviendrai jamais à Conakry. C’est trop dangereux pour moi.

Tu sais ce que j’ai enduré, depuis que le frère de papa t’a épousée, comme seconde femme. Il m’a d’abord donné le nom de sa première femme, Fanta. Il m’a obligée à faire toutes les tâches à sa maison. J’étais esclave de la famille. Il buvait, se droguait, me battait, me violait. C’était des rapports sexuels, tout le temps, tout le temps… Si je n’assouvissais pas ses désirs, il me frappait, comme le montrent les cicatrices sur mon visage.

Et il y a eu ce mariage forcé, à 17 ans. J’étais à l’école, on m’a fait sortir… Moi, je voulais faire des études. Le mariage, chez nous, tu le sais, c’est pour la vie. Alors, pour redevenir libre, je n’avais qu’une solution, fuir la famille, Conakry et la Guinée. Tu sais tout ça, mais j’ai besoin de le dire, de l’écrire.

Tu sais aussi tout ce que le chef de notre quartier, une sorte d’adjoint à Conakry, a fait pour m’aider. Il est intervenu, est venu à la maison, mais à cause de ça, mon mari m’a battue. Tu te souviens de ce que je t’ai dit, dans ta chambre : si je reste à Conakry, il va me tuer. C’est un militaire, il avait l’argent, il pouvait faire ce qu’il voulait de moi. Là, je t’ai dit que j’avais décidé de tout quitter et de laisser à ma tante l’enfant que j’ai eu de lui.

Le chef de quartier m’a beaucoup aidée, pour venir d’abord à Rabat, au Maroc, en avion, où j’ai passé deux mois. Il a fait toutes les démarches. Pour moi et pour sa nièce qui était menacée, elle aussi, de mariage forcé…

Il a trouvé une association pour nous acheminer à Gibraltar et traverser, en Zodiac, vers l’Espagne. La vie ou la mort. L’eau rentrait dans le bateau. On était 61 personnes dans l’embarcation. Tout le monde pleurait. 24 heures sur l’eau… Mama Helena, une Espagnole, jointe au téléphone par un monsieur à bord, nous a sauvés : elle a donné l’alerte, un hélicoptère est venu, on nous a fait mettre les gilets et un gros bateau s’est approché pour nous secourir.

Je ne suis restée que deux semaines en Espagne. Je ne parlais pas la langue. Une association m’a donné 40 euros d’argent de poche, de l’eau, des sandwiches, et m’a payé le bus, qui m’a amenée directement à la gare de Rennes.

Je me suis assise à un arrêt de bus, à République. Un monsieur est passé. Il m’a dit : « Pourquoi tu pleures ? » Je lui ai répondu : « Parce que je ne connais personne et je n’ai pas où dormir… » Il m’a amenée au Secours catholique. Je n’avais pas mangé depuis deux jours. Une dame m’a donné tout ce que j’ai voulu… Grâce à Dieu… République, je n’oublierai jamais cet endroit.

Le 17 janvier 2020, on m’a envoyée à la Préfecture, qui m’a promis un logement... à Lorient, où je suis restée six mois. Et comme j’étais en procédure double, en France et en Espagne, j’ai été transférée à Barcelone, puis renvoyée à Lorient, avant qu’on me redirige vers Rennes, en train… Il me faudrait des heures pour te raconter tous ces allers et retours, ces mois d’errance et toutes ces personnes qui m’ont tendu la main !

Et c’est là, de retour à Rennes, que j’ai eu un second rendez-vous à la Préfecture et que j’ai rencontré un monsieur…

Ma douce Néné, il faut que je te raconte. Tu ne vas pas me croire. Ce monsieur s’appelle Ousmane. Il est de Conakry. Il est réfugié à Rennes depuis 2018. Et je l’ai rencontré devant la Préfecture, un jour où, lui aussi, avait rendez-vous pour ses papiers ! Ousmane est aujourd’hui le papa de mon second garçon. Il a un an. Il se prénomme Bouhkari.

Ousmane est hébergé par une association, pas loin, à Thorigné-Fouillard. Moi, je suis ici, au Cada, depuis le 13 juillet 2021, presque un an au moment où je t’écris.

Quand je suis arrivée ici, j’ai pleuré trois jours. Je venais d’accoucher. Les conditions d’hygiène, la solitude… Si tu n’as personne à qui parler, tu deviens malade ! Et puis les choses se sont améliorées. J’ai rencontré beaucoup de Blancs, nos assistants de Benoît Labre. Dieu a voulu que je les rencontre !

Ce sont des gens respectueux. Ils me considèrent, ils m’écoutent, ils organisent des sorties. Ils sont attentifs, tous les jours. Si demain on me donne des papiers, que je peux travailler, partir d’ici, je ne veux pas me séparer de ces personnes-là.

J’attends une réponse de l’Ofpra depuis huit mois. Sans papiers, je n’ai pas le droit de travailler. J’ai envie de travailler, parce que j’ai un bébé dont je veux m’occuper. Je veux lui préparer son avenir. Je ne veux pas qu’il connaisse ce que j’ai vécu.

Une fois payé le foyer, il me reste cent euros pour vivre. Grâce à Ousmane, j’ai oublié beaucoup de problèmes. Je suis confiante pour l’avenir.

Aujourd’hui, j’ai 25 ans. Si j’obtiens mes papiers, si Ousmane obtient ses papiers, alors, on voudrait se marier. Mais je suis déjà mariée en Guinée…  J’ai un mari là-bas, dont je ne veux plus. Jamais de la vie je retournerai là-bas. Il faut que ce soit ce monsieur, mon mari, qui dise qu’il ne veut plus de moi. Je ne vais pas retourner voir quelqu’un qui veut me tuer…

Ici, j’ai rencontré plein de gens qui me veulent du bien. Tous les Français que j’ai rencontrés ont été sympas avec moi. Le premier qui m’a aidée, moi la musulmane, c’était à République, un membre du Secours catholique.

Ici, à Benoît Labre, je me sens un peu chez moi. Je dis un peu, seulement, parce que ce qui me manque, c’est toi, ma maman. Parce que, ma douce Néné, tu es tout pour moi.

Fanta.

1. « Maman », en dialecte guinéen

 

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