Glad_Je vous écris de Benoît Labre

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« Quand je me suis retrouvée à la rue, devant l’église Saint-Sauveur, j’ai supplié Dieu. Quelle que soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever. »

Rennes, le 23 juin 2022

Chers parents,

Depuis que j’ai quitté Brazzaville, le 24 décembre 2018, je suis sans nouvelles de vous, et vous ne savez rien de moi, surtout toi, Maman. J’ignore si je vous reverrai un jour. Je ne sais pas si j’aurais le courage de vous dire tout le mal que j’ai subi. De vous raconter combien je suis passée de la lumière, quand tout allait bien à la maison, à l’ombre.

Je vous écris de Benoît Labre, à Rennes, car j’ai aussi envie de vous prouver que, certes vous m’avez brisée quand j’étais enfant, mais qu’à 21 ans, j’ai pu me reconstruire.

C’est encore dur. Souvent, j’ai eu juste envie de pleurer, de laisser tomber, de me jeter dans la Vilaine, et envie d’être avec vous, de vous raconter mes journées. De vous dire que l’année prochaine, je serai en alternance pour devenir préparatrice en pharmacie.

Tu te souviens, papa, en 2018, quand tu m’as dit qu’on irait en voyage pour les fêtes de fin d’année ? Déjà, la relation avec toi n’était plus fluide. Après votre divorce, c’était la catastrophe. Tu t’es mis à boire. A me violenter. J’en ai pris des coups, les soirs où tu étais bourré ! J’ai raté mon bac. Malgré ton salaire de comptable, tu pétais les plombs dès qu’on parlait d’argent. J’ai payé les pots cassés. Je me gérais toute seule. Mais bon, tu étais mon papa, j’avais 17 ans, j’ai eu confiance, on allait voyager.

Avant de partir, tu m’as dit qu’il n’y avait finalement qu’une place sur le vol, que j’allais partir seule, mais que tu me rejoindrais dans deux jours. Je croyais vraiment que tu voulais venir avec moi.

Quand je suis arrivée à Roissy, dans le froid de Noël, j’avais un visa jusqu’au 2 janvier. Contrairement à ce que tu m’avais dit, il n’y avait personne pour m’attendre. Mon téléphone ne passait pas. J’ai pleuré. Une dame, qui m’a vue dans un état pitoyable, m’a demandé ce qui se passait. Tu m’avais donné un contact en France, à Paris, croyais-je, en fait à Rennes. Cette inconnue m’a payé le billet de train…

J’ai passé des jours à attendre et à réfléchir, j’ai compris que tu m’avais mise dans un vol pour te débarrasser de moi. J’étais désespérée, dégoûtée, choquée. Si tu n’arrivais plus à me supporter, Papa, il fallait me le dire clairement. Pourquoi m’avoir abandonnée ?

Je vais vous faire une confidence : je me dis, aujourd’hui, que c’était peut-être un mal pour un bien. Je n’ai jamais pensé retourner à Brazzaville. A cause de vous, et à cause de la situation dans le pays, des « bébés noirs », les jeunes délinquants des quartiers nord qui agressent au couteau et à la machette les Lari des quartiers sud, comme ça m’est arrivé au retour d’une veillée mortuaire.

Papa, ton amie congolaise et son mari, ne voulaient pas de moi chez eux, à Rennes. Ils s’engueulaient à cause de moi. Un jour, il y a eu une très grosse dispute entre monsieur et madame.

Les jours ont passé. J’ai pris mon sac et je me suis barrée de chez eux. Mon visa n’était plus valable. On est début janvier, il fait froid. Je suis allée à la Mission des mineurs non-accompagnés. Le soir, je me suis retrouvée à la rue. Devant l’église Saint-Sauveur, j’ai supplié Dieu. Une dame, espagnole, m’a proposé de dormir chez elle. Je suis revenue à la MNA le lendemain… J’ai explosé. Ils ont fini par me proposer une chambre d’hôtel.

Après, on n’a plus voulu me prendre en charge. La MNA m’accusait d’être complice d’un coup monté. On m’a fait des examens sur mon âge, malgré mon passeport. Personne ne voulait croire en mon histoire. Ils ont attendu le 13 février, le jour de mon anniversaire, pour me dire qu’ils ne pouvaient plus m’aider parce que j’étais majeure !

Et là, ça a été le 115, l’accueil de nuit, des nuits chez l’un et chez l’autre, les menaces d’un autre réfugié qui voulait que je sois son jouet… J’ai commencé les démarches pour une demande d’asile. J’ai écrit mon histoire, du fond du cœur, pour l’envoyer à l’Ofpra.

En attendant, je suis allée de famille d’accueil en famille d’accueil, à Vern-sur-Seiche, à Clemenceau, à Vignoc, où j’avais envie de rester, à Hédé… Et le 19 avril 2019, j’ai eu une place à Betton, au Cada. J’y suis restée deux ans. Il m’en aura fallu trois pour avoir des papiers.

Le Cada, c’est loin de tout. Il y avait des demandeurs d’asile très désagréables. On se disputait beaucoup. Entre Africains, le mélange des cultures, c’est compliqué. Au début, c’était dur. Mais j’avais un toit, une chambre individuelle. Et j’y ai rencontré des personnes sympa. Le personnel a été hyper cool.

Je suis allée au CIO pour m’inscrire dans un lycée. J’ai attendu, attendu, pas de courrier, jusqu’au jour où j’apprends que je suis inscrite au lycée Victor-et-Hélène-Basch, à Villejean.

J’ai acheté mes fournitures avec l’argent de l’ADA (l’aide aux demandeurs d’asile, 200 € pour vivre par mois). Je suis allée tous les jours à l’école, pendant le Covid, pour suivre une terminale scientifique. Une heure de marche, de bus et de métro… Je me levais à 5 h, et je n’ai été en retard que deux fois ! J’ai révisé mon bac au Cada. J’ai repassé mes épreuves de français. J’avais des piles de documents à imprimer, tous les jours… Et, chers parents, j’ai eu mon bac S, presqu’en même temps que mes papiers.

Depuis janvier, je suis dans un « dispositif de transition », à Benoît Labre. L’assistante sociale m’aide pour mes démarches, trouver des endroits où m’inscrire pour des activités, quand j’ai besoin, j’appelle et elle m’aide. Il y a des jours où je ne vais vraiment pas bien…

Bonne nouvelle, Archipel Habitat m’a donné un studio lundi. A l’heure où je vous écris, je suis hôtesse de caisse au Leclerc de Cleunay. L’an prochain, je vais en alternance pour devenir préparatrice en pharmacie. La pharmacie dans laquelle je serai en alternance m’a proposé de travailler à partir du 1er juillet. Je veux vraiment réussir.

La France, c’est compliqué, c’est long, mais là, ça va. Les Français, ça va. Je n’ai jamais été victime de racisme. Mais je me débarrasse de certaines relations, des faux amis africains, qui m’ont fait vraiment mal, qui appellent juste quand ils ont besoin d’argent…

Quand je ne vais pas bien, je me pose au parc du Thabor, devant la cascade. J’écoute le chant des oiseaux, l’air qui file entre les feuilles, les petits mouvements des branches. J’aime beaucoup Rennes, sauf quand il fait trop chaud. J’adore la nature, l’automne, l’hiver, la pluie. C’est juste magnifique, c’est une grosse thérapie pour moi.

Le passé est lourd. Quand je vois les autres familles, je revis ce 25 décembre 2018, j’ai juste envie de vous retrouver, mes chers parents, qui m’avez appelée Glad, heureux en anglais. Pour vous raconter mes petites victoires. Pour vous dire que quelle que soit la durée de la nuit, le jour finit toujours par se lever.

Glad.

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