Hebibullah_Je vous écris de Benoît Labre

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« Je gère mon entreprise turque d’ici. Je ne suis pas venu en France pour réclamer de l’argent, mais pour trouver la liberté. »

Rennes, le 20 février 2023

Citoyens de Rennes et du Monde,

Mon histoire n’aurait pas la même importance si elle n’était pas l’illustration du drame qu’endurent mes compatriotes Ouïghours en Chine. Et même bien au-delà de la Chine, car c’est à un double exil que j’ai été contraint, avant d’arriver, ici, à Rennes.

Je viens d’Ürümqi, la capitale du Turkestan, devenu le Xinjiang depuis le renversement par Pékin, en décembre 1949, de cette république indépendante du nord-ouest de la Chine, berceau du peuple turc. J’y tenais une boutique d’articles culturels.

A partir de 2014, les Chinois ont commencé à construire des camps, d’abord dans l’Est du pays, et en 2015, ils se sont mis à arrêter les gens pour les y enfermer. Comme l’ont fait les Nazis. Ma sœur est dans un de ces camps, depuis 2018. Depuis, je n’ai aucun contact. Elle n’a aucun lien avec l’extérieur. Mon épouse et mes quatre enfants, de 7 à 14 ans, sont en Turquie. Pour ne pas être internés, nous avons tous fui en 2017, à Istanbul.

Il me faudrait des jours pour raconter ce qui se passe dans ces camps. Le Parti communiste chinois a expliqué qu’il s’agissait de centres de formation professionnelle, qu’il voulait nous éduquer et lutter contre le terrorisme, ce dont est suspecté tout Ouïghour qui défend sa singularité.

Téléphoner à l’étranger, porter une barbe, refuser de boire de l’alcool ou donner un prénom musulman à son enfant peut suffire à être emprisonné ou condamné à mort pour “extrémisme religieux”. Dans ces camps sans fenêtres et entourés de barbelés, les détenus doivent chanter l’hymne du Parti, réciter la pensée du président Xi, regarder des vidéos de propagande.

Les détenus n’ont pas le droit de parler le ouïghour, de pratiquer leur religion ni de respecter leurs traditions, sous peine de torture. Je crois savoir qu’on y collecte des organes et que l’on procède à des  stérilisations forcées pour faire baisser la natalité…

Même nous, on n’arrive pas à croire ce qui se passe. Le Xinjiang est une prison à ciel ouvert. Certaines estimations chiffrent la population des camps à 7 millions d’Ouïghours, sur 35 millions. Trop de gens ne le savent pas. Il faut le dire au monde entier !

Avant de connaître l’Europe, la Turquie, c’était ce qu’il y avait de mieux, une destination facile, en raison de la proximité culturelle et de l’importante communauté ouïghoure. Je fais du business international, de la vente d’articles ouïghours sur Internet.

A partir de 2017, les gouvernements turc et chinois commencent à se rapprocher. Le 26 décembre 2020, ils signent un traité d’extradition entre les deux pays. La Turquie dit n’avoir rien contre les Ouïghours. Mais, d’un côté elle veut attirer les investisseurs chinois ; de l’autre, la Chine y voit une occasion pour s’en prendre à ses opposants à l’étranger. Ce rapprochement est dangereux pour nous.

D’ailleurs, j’ai eu connaissance d’au moins cinq disparitions, depuis 2020. Officiellement, on n’extrade pas vers la Chine. Pour brouiller les pistes, on extrade vers le Tadjikistan, d’où ces personnes sont ensuite transférées en Chine. Je sais que si la Turquie me renvoie en Chine, les Chinois ne me laisseront pas vivant.

Un jour, j’ai été appelé par la police chinoise. Elle avait repéré qu’à travers ma clientèle, je connaissais beaucoup de Ouïghours. On m’a dit : « On te connaît, on connaît ta sœur, il faut que tu travailles pour nous. » Du chantage. J’ai pris peur.

Deuxième exil, comme des milliers d’Ouïghours, je quitte la Turquie. Nous sommes en septembre 2022, il y a sept mois. Je pars seul, parce que le passeport de ma femme et de mes enfants est périmé. Le consulat de Chine à Istanbul refuse de le renouveler. Et la Turquie rejette sa demande de nationalité.

Je prends un vol pour la Serbie, parce qu’il n’y a pas besoin de visa. A Belgrade, j’achète un billet pour Tunis via Paris, parce qu’il n’y pas de visa non plus. Et je profite de la correspondance à Roissy pour aller expliquer à la police que je veux rester en France. Parce que la France, pour moi, c’est la démocratie, le pays idéal.

Je reste vingt jours à Paris, le temps des premières démarches. L’Ofpra me donne un billet pour Rennes. Quand je descends du train, c’était le 5 octobre 2022, je remarque tout de suite que les gens sont accueillants, qu’ils disent bonjour, comme chez nous. Le premier monsieur que je croise m’explique le métro et le bus pour rejoindre le Cada, à Betton. J’ai presque envie de retourner dans mon pays pour crier que la France est à l’opposé de la description mensongère qu’enseigne la propagande communiste…

A Betton, les gens m’apportent énormément de choses. Ils sont trop bien. Je communique avec tout le monde grâce au traducteur Google. Je lis beaucoup, j’échange tous les jours avec ma famille, et je vends des articles sur internet…

Avec mon téléphone, je gère mon entreprise turque, Bilal Uygur, de n’importe où. Tous les articles que je vends sont fabriqués en Turquie, par la communauté ouïghoure. Je réalise un chiffre d’affaires de 20 000 livres turques, 1 000 € par mois. Ici, c’est un petit chiffre, mais pas en Turquie.

Je ne veux pas mentir sur ma situation économique. Je préfère gagner ma vie avec mon commerce plutôt que de réclamer de l’aide, même si je perçois 200 € par mois. Si j’ai une réponse positive à ma demande d’asile, je vais apprendre le français, m’occuper de mon regroupement familial et créer mon entreprise en France.

Je ne suis pas venu en France, à 36 ans, pour réclamer de l’argent, mais pour trouver la liberté, la sécurité, pour témoigner du sort des Ouïghours et pour aider, à mon tour, les gens en difficulté.

Hebibullah.

 

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