Laurent_Je vous écris de Benoît Labre

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« A cause de toutes les mauvaises choses que j’ai faites dans ma vie, j’ai perdu la tête. Et Benoît Labre est en train de me la remettre sur les épaules. »

Rennes, le 1er août 2022

Mes chers potes de la rue,

Je m’appelle Laurent Tellier, j’ai 56 ans. Je vis au foyer Saint Benoît Labre depuis quatre ans. Je suis le plus ancien des résidents. A cause de toutes les mauvaises choses que j’ai faites dans ma vie, j’avais perdu la tête. Et Saint Benoît Labre est en train de me la remettre sur les épaules. C’est pour cela que j’aime tant cette sculpture de tête coupée, place de Coëtquen.

Ma vie, ici, est magnifique. En rencontrant Benoît Labre, je suis entré au Paradis. J’ai trouvé une équipe vraiment à l’écoute. Des gens dévoués, qui font leur travail corps et âme. J’aime bien la convivialité que l’on peut créer avec les assistantes, on peut leur parler facilement, on peut tout dire ici, et ça fait énormément de bien. Je bénis cette association. On m’a soigné les dents, la vue. Saint Benoît a sauvé mon âme, m’a redonné confiance, m’a déployé les ailes.

Je ne connaissais pas Benoît Labre. C’est une assistante sociale du centre d’Accueil et d’Orientation, rue de la Barbotière, qui m’a orienté vers cette association, il y a quatre ans, quand elle a vu mon état de maigreur et de saleté. Je ne tenais plus debout. J’ai été pris d’office. C’était inespéré. Cette femme m’a sauvé, elle a cru en moi, elle a vu que je n’étais pas un voyou.

Ma mère avait une addiction aux courses. Elle, qui venait de la Vendée, avait toujours voulu se rapprocher de la capitale. Un jour, sur le champ de courses de Vincennes, elle a rencontré un homme élégant, avec un costume noir. Il avait un salon de coiffure et une parfumerie. Il a fait connaître Paris à ma mère. C’était son futur mari.

J’ai quatre frères. Je suis le seul métis de la famille. Ma mère était devenue frivole, ce qui explique que je ne suis pas du même père qu’eux. Mon père biologique était noir, je l’ai retrouvé, à 18 ans, au Congo-Brazzaville. Etait, car il est décédé. Ma maman aussi.

J’ai fait énormément de métiers dans ma vie. J’ai commencé par être coiffeur, pendant 5 ans, à Paris, dans un salon qui travaillait avec le monde spectacle. J’ai côtoyé Michel Piccoli, Juliette Binoche, le groupe Indochine, Sophie Marceau et j’en passe. Je leur ai fait des massages du cuir chevelu. J’en ai vu du beau monde !

Après, je suis parti à l’armée où j’ai été pilote de char. Au retour, j’ai travaillé dans une chaîne de restauration. J’ai été chauffeur-livreur pour les Monuments historiques, j’ai accroché notamment des tableaux de maîtres au château de Chambord. J’ai travaillé dans l’entretien, à déboucher les vide-ordures, à sortir les poubelles, j’ai été chef d’équipe dans le nettoyage. J’ai travaillé dans le bâtiment, sept ans, ça m’a beaucoup usé.

J’ai vécu à Paris jusqu’à l’âge de 37 ans. Je suis venu à Rennes pour un coup de cœur pour une femme, qui est la mère de ma première fille. J’étais en vacances, avec les parents, à Royan. Le soir, avec leur voiture, je descendais au port, où j’ai rencontré une jeune métisse, de Rennes. On est sorti ensemble, on s’est plu, on a gardé le contact. Je suis venu la voir à Rennes, avec ma « Lada ». Et là, je suis resté. On a fait un enfant ensemble. Une fille.

Je suis tombé amoureux d’elle, mais aussi du climat, de la ville. Rennes, c’est une ville accueillante, les Bretons, je les trouve conviviaux, la place Sainte-Anne, le « Taxi Brousse », rue de la Soif, avec sa grande cave aménagée.

Aujourd’hui, ma fille a 22 ans. Elle vit en Martinique, avec sa mère. Elle est infirmière-puéricultrice. Depuis qu’elle est née, je lui fais un petit virement de 50 € par mois. Je lui ai payé son permis, sa voiture. Elle est sur de bons rails. Je suis très fier d’elle, elle a compris la vie.

Après, j’ai eu une seconde femme avec qui j’ai eu deux enfants, magnifiques, un garçon qui a huit ans et une fille de douze ans. Il y a 6 ans, j’ai décidé d’arrêter de travailler. Parce que je venais de toucher un héritage, 130 000 €, légué par mon frère aîné. Et c’est là que tout est parti en vrille.

Avec ma femme, ma compagne, ça a dégénéré. On s’est engueulé et elle m’a jeté dehors. Il y a cinq ans. Elle est ange et démon, comme moi.

Comme j’avais encore de l’argent, je suis allé d’hôtel en hôtel. Je me retrouvais parfois à la rue, si j’avais oublié de réserver ou que c’était complet. J’ai erré de squat en squat, de rue en rue. J’aimais Anne-Sophie. De tristesse et d’ennui, j’ai sombré dans la drogue, je me camais, je buvais, je faisais n’importe quoi. Toutes ces bêtises-là, je les ai recommencées, alors que je m’en étais sorti une première fois. Ça a duré un an.

Cet héritage et cette séparation brutale ont été le déclencheur de tout. Arrêter de travailler, c’était une très mauvaise idée. Ca a été la spirale. L’argent part vite. L’héritage, ça a été un piège. J’ai envoyé de l’argent à ma fille, aux Antilles. Je pouvais lui offrir ces choses, grâce à Dieu, parce que j’avais eu cet héritage. Mais, j’ai tout bouffé.

Pire, à cause du choc affectif et des traitements contre la drogue, je souffre d’akathisie, une maladie des nerfs qui vous rend très agité, des jambes surtout. Je touche l’allocation pour handicapés. Pourtant, j’aimerais bien travailler...

Maintenant, ça va mieux avec ma compagne, c’est important pour les enfants. On a beau être séparés, on est resté 20 ans ensemble ! On s’est parlé beaucoup. Et maintenant, je l’adore. Moi, ma vie, c’est Anne-Sophie. Même si on n’est pas vraiment ensemble, je l’aime. Je vais voir mes enfants deux fois par mois, le mercredi. Pour l’instant, à cause de nos conneries, ils sont en famille d’accueil, de bonnes familles.

Aujourd’hui, c’est terminé. Je ne toucherai plus à ça, l’alcool, la drogue. Un petit pétard, comme ça, de temps en temps, mais la dure, c’est fini. J’ai trop souffert. Mon but, c’est de sortir mes enfants de l’engrenage de la malchance. Mes enfants, je les chéris, je les protège, je les aime et ils me le rendent bien.

Tout ça, c’est de ma faute, parce que je n’ai pas su m’arrêter au bon moment. C’est un appel à la conscience, à l’intelligence de mes amis de la rue que je lance : ne faites pas n’importe quoi ! Méfiez-vous de l’argent, gardez vos sous quand vous en avez. L’argent vous bouffe. Il nourrit les vices. Que ce soit dans l’amour, le travail, l’argent peut vous faire très mal.

Je voudrais dire à tous mes potes qui, un jour, ont dérapé, qu’il faut s’accorder le pardon pour aller de l’avant. Pour se hausser vers le bon. Faites confiance à la vie et donnez-vous les moyens. Mes potes de la rue, faites-vous confiance. N’allez pas vers le mal. Arrêtez vos conneries de drogue, évitez d’être des parents abimés.

On vit dans un pays magnifique. Il y a des gens pour vous aider. Il faut les trouver, mais ils sont là. Je suis croyant. Il y a un Dieu. Ici, en France, à Rennes, il y a tout pour aider les gens. On peut s’en sortir, j’en suis la preuve !

Laurent.

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