Sayed_Je vous écris de Benoit Labre

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Rennes, le 29 juillet 2022

Monsieur le ministre du Travail,

Je m’appelle Sayed, j’ai 32 ans, je suis né à Takhar, dans le nord de l’Afghanistan. J’ai fui mon pays en 2018, pour des raisons, disons politiques, sur lesquelles je ne peux pas m’étendre.

Je suis à Rennes depuis le 16 juin 2019. Depuis peu, j’occupe un logement du foyer Saint-Benoît Labre, en attendant d’avoir un appartement et un travail. C’est très très bien Saint-Benoît Labre, les gens sont formidables, gentils, arrangeants, ma référente m’aide beaucoup. Mais, c’est très dur de vivre, de manger, de s’habiller, de payer un loyer, avec un RSA de 565 €.

Monsieur le ministre du Travail, dans mon pays, j’ai suivi une formation en Génie civil (bac + 4,5) jusqu’en 2015; j’ai été conducteur de travaux pendant trois ans, dans le public et dans le privé, pour construire des bâtiments, des routes...

Ici, en France, j’ai payé pour apprendre le français, à l’université de Rennes. J’ai fait une formation de « préparation aux projets », en alternance, au Greta de Vitré. J’ai envie de travailler, de payer des impôts, des cotisations sociales.

Dans le BTP, du travail, il y en a partout. Mais pas pour moi. A la télévision, on fait de la publicité pour dire qu’on ne trouve pas à recruter. Et à moi, les entreprises me répondent de faire d’abord une formation continue de conducteur de travaux! Comme on dit chez moi : le pot est plein d’eau fraîche, et on t’envoie à la fontaine…

Si je vous écris, aujourd’hui, de Saint-Benoît Labre, ce n’est pas pour moi, ce n’est pas pour demander un passe-droit ; c’est pour dire, à vous, monsieur le ministre, et à tous les candidats à l’exil, que la France, c’est bien à 80%, que les gens sont accueillants, mais que migrer est une épreuve sans fin.

D’abord, pour arriver ici, il m’a fallu 14 mois. J’ai traversé illégalement plusieurs frontières : Iran, Turquie, où j’ai appris la langue ; Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Slovaquie, où j’ai été arrêté et contraint de faire une demande d’asile pour échapper à la prison ; Autriche, Allemagne, France…

J’avais des amis et de la famille dans plusieurs pays européens. Et un neveu médecin qui habite à Rennes, depuis 2012. A l’école, j’ai appris l’histoire de France, on nous a expliqué que la France c’est le pays des droits de l’homme, des droits des femmes, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité.

Après, il y a la réalité. Le 18 juillet 2019, quand j’ai fait une demande d’asile, la préfecture m’a dit que j’avais déjà entamé une procédure en Slovaquie, qu’il fallait que je reparte là-bas. J’ai refusé, parce que je ne voulais pas me retrouver en prison ! J’ai attendu 18 mois ici, clandestinement, le temps légal de revenir dans la procédure normale. 18 mois sans titre de séjour, sans aide, sans travail, sans logement… Je logeais chez des amis, à droite à gauche.

Comme je n’avais pas de papiers, j’ai dû payer quatre semestres à Rennes 2 pour employer mon temps à apprendre le français. Comme je n’avais pas d’adresse, je ne pouvais pas entamer de formation. Au bout des 18 mois, j’ai fait une demande à l’Ofpra. J’ai obtenu un titre de séjour en septembre 2021.

C’est ça que je veux dire à ceux qui voudraient émigrer. 14 mois pour arriver jusqu’à Rennes, 27 mois pour obtenir un titre de séjour… Venir en France, c’est très long, la procédure est très compliquée. Trouver un logement, içi à Rennes, prend entre 24 et 30 mois.

Ensuite, je vous écris, monsieur le ministre, pour vous dire combien trouver un travail, même un stage d’une semaine, est très dur, beaucoup plus qu’en Allemagne ou qu’aux Etats-Unis.

Combien de temps je vais rester sans travail ? Combien de temps allez-vous m’aider ? Comprenez-moi, monsieur le ministre, je ne veux pas d’aide du gouvernement français. Je veux travailler, commencer une vie normale, et je ne peux pas. Par rapport à mon projet professionnel, j’ai déjà perdu trois ans.

Quand j’étais au Greta de Vitré, j’ai fait une liste d’une trentaine d’entreprises, pour leur adresser une demande de stage, j’ai rappelé après 10 ou 15 jours. J’ai eu cinq réponses. Négatives. Pour les autres, les Français, c’était très facile. Mais je ne veux pas croire que c’est une question de racisme, d’ailleurs il y a beaucoup d’étrangers sur les chantiers, plutôt une affaire de relations familiales, amicales, que je n’ai pas.

Je ne demande pas à commencer un travail avec un salaire de 2 500 ou 3 000 euros. Je veux bien travailler pour 1 500 €, et même 1 000 € pendant un an, c’est pas grave, je sais que je peux progresser très vite. Je suis sûr de pouvoir le faire !

Je vous écris, enfin, pour vous dire l’épreuve humaine, affective, qu’est l’exil. Mon père était déjà décédé quand je suis parti. Il est mort d’une crise cardiaque, quinze jours avant d’aller se faire soigner en Inde, parce qu’en Afghanistan, il n’y a pas de spécialistes.

J’ai quitté le reste de ma famille, mes proches, ma maman. Elle a eu un cancer. Elle est décédée le 9 février 2022, au Pakistan, où elle espérait se faire soigner. Avant sa mort, elle voulait me voir, moi aussi je voulais la voir. Mais je n’ai pas eu de titre de transport. L’Ofpra n’a pas voulu me délivrer d’autorisation de voyage.

Je n’écris pas cette lettre pour moi. Je vais trouver une solution pour moi. Je l’écris pour éclairer les gens qui voudraient, comme moi, venir en France, pour les mettre en garde contre toutes ces difficultés que j’ai eues.

Partir ou rester, moi, je n’avais pas le choix, j’étais menacé, mais je veux leur dire que s’ils ont le choix, s’ils n’ont pas un problème insurmontable, surtout, qu’ils ne quittent pas leur pays. Il vaut mieux essayer de rester dans son pays, quand c’est possible.

Enfin, monsieur le ministre du Travail, je vous écris de Saint-Benoît Labre pour vous dire que je me sens Français. Pour vous dire que la France, c’est ma deuxième patrie.

Sayed Dawod OMAR.

 

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