Kathia_Je vous écris de Benoît Labre

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« La prison m’a traumatisée. La nuit, je ne peux plus dormir la fenêtre fermée, même quand il fait froid. J’ai l’impression d’être dans une cellule, d’étouffer. »

Rennes, le 22 septembre 2022

A vous, passants, qui jugez sans savoir.

Dès que quelqu’un me regarde, je le prends pour un jugement. J’ai peur d’être jugée. J’ai du mal à accepter le regard des autres. Moi, je ne jugerai jamais quelqu’un qui est dans la merde, qui est dehors. On n’a pas choisi, nous, gens de la rue, d’être dehors. On est comme tout le monde. Ça peut arriver à tout le monde. On peut tous avoir des accidents dans la vie.

Beaucoup, beaucoup de gens portent des jugements, sans savoir qui on est, d’où on vient. Alors, si mon histoire peut changer votre regard…

Vous ne savez pas que, jusqu’à l’âge de 19 ans, j’ai vécu de famille d’accueil en famille d’accueil, autour de Rennes et à Saint-Malo. Comme mes frère et sœurs. Je n’ai jamais connu mon père. Ma mère est alcoolique, et c’est pour cela qu’on a été placés. Je ne l’ai pas vue depuis quatre ans.

Vous ne savez pas ce que représente le traumatisme de la perte de mon frère jumeau, pendant la grossesse de ma mère. Je me suis toujours sentie coupable de sa mort, parce qu’il était avec moi dans le ventre de ma mère. Elle me l’a raconté il y a quatre ans. Ca été un choc. Je sais que ce n’est pas moi. Mais je n’arrête pas de me répéter que je l’ai tué. Pour aller mieux, pour me déculpabiliser, je consulte une psychologue. Pour l’instant, je ne vois pas de « progrès ». Avant de l’apprendre, je n’allais déjà pas bien, comme si je le savais, instinctivement. Je suis convaincue que la peur du regard des gens vient de là.

Vous ne savez pas que je suis épileptique. J’ai fait ma première crise le jour de mes 16 ans. Je faisais des malaises avant, mais on ne savait pas d’où ça venait. Je n’ai plus de crises, mais le traitement me fatigue énormément.

Je suis allée au lycée, en première année d’hôtellerie à Dinan, que je n’ai pas pu terminer, parce que j’ai été hospitalisée. On apprenait beaucoup de choses, changer les lits, nettoyer… J’aurais aimé travailler dans l’hôtellerie ou en milieu équestre, mais ce n’est pas possible à cause de mon épilepsie. Je faisais de l’équitation, à Landujan, entre 15 et 17 ans, ça se passait très bien. Ca me détendait, je ne pensais à rien. J’ai dû arrêter quand j’ai dû changer de famille d’accueil.

Vous ne savez pas que j’ai tenté un « contrat jeune majeur », mais que j’ai arrêté. Il faut avoir des projets. Je n’en avais pas. J’avais commencé à travailler en Esat, à cause de mon handicap, mais ça ne me plaisait pas du tout. Et à cause de mon épilepsie, je ne peux pas travailler plus de trois heures par jour. Alors, je vis de l’AAH.

Vous ne savez pas que je me suis retrouvée à la rue, depuis à l’âge de 19 ans et jusqu’en mars dernier. La rue, c’est compliqué, très violent, on ne sait jamais sur qui on peut tomber. Je savais que les femmes sont plus victimes que les hommes, mais pas à ce point-là. J’ai subi une agression sexuelle de la part de deux inconnus. Toute la journée t’es dehors, la nuit t’es dehors, tu ne sais pas ce que tu peux faire, où dormir, il n’y a pas toujours de la place au 115, surtout avec deux chiens.

Mais je n’ai jamais fait la manche. Je ne demandais pas d’argent, ni de cigarettes. Impossible. A cause du regard des gens, je me protégeais. J’allais dans les associations. Je marchais pour ne pas montrer que j’étais SDF. J’essayais d’éviter les mauvaises fréquentations. De ne pas tomber dans l’alcool, comme ma mère, ou la drogue. Même sans cela, les regards se posent sur les personnes qui sont dehors.

Vous ne savez pas que j’ai été incarcérée, à la prison des femmes, pendant trois mois. Je suis quelqu’un de très vulnérable, d’influençable. J’ai été poursuivie pour complicité de vol aggravé, parce que j’avais eu la mauvaise idée d’attendre un ami en train de dépouiller une personne âgée.

En prison, il faut avoir le mental. Trois mois, ça paraît une éternité, t’es enfermée 23 heures sur 24, dans 10 m2, t’as une heure de promenade. Je ne sais pas comment tiennent celles qui font de la perpète.

La prison m’a traumatisée. Quand je suis sortie, le 25 juillet, j’avais l’impression d’être toujours en prison, toujours surveillée, d’être coupable, par exemple quand je voyais des policiers dans la rue. La nuit, je ne peux plus dormir la fenêtre fermée, même quand il fait froid. J’ai l’impression d’être dans une cellule, d’étouffer. La fenêtre ouverte, c’est la possibilité de s’évader.

Vous ne savez pas que je suis enceinte. Cette grossesse, c’est un peu délicat dans la mesure où je n’ai pas de logement fixe. C’est une grossesse qui a été voulue, avec un papa qui assume. Je l’ai rencontré en 2020, à la rue. Mais là, il est en détention. Je ne sais pas ce qu’il a fait. Il sort fin octobre et l’accouchement est prévu le 25 décembre. Depuis ma sortie de prison, je suis au centre d’accueil Monsieur Vincent de l’association Benoît Labre, le temps de ma grossesse. Je suis ici jusqu’à ce que je trouve un logement ou un centre maternel.

Benoît Labre, c’est la meilleure structure de la ville. Moi j’ai fait à peu près tous les foyers de Rennes. Le mieux, c’est le centre Monsieur Vincent. Tu peux manger le midi, le soir, tu peux te reposer, rester au chaud, t’es pas obligée d’être dehors toute la journée…

Vous ne savez rien de moi, et moi, à 21 ans, je ne sais rien de mon avenir. Je ne sais pas ce que je veux faire. Je vis au jour le jour. Mon épilepsie, mon passé me barrent tous les chemins. Tout le monde doit savoir qu’on n’a pas une vie aussi belle qu’on le voudrait.

Kathia.

 

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