Marinela_Je vous écris de Benoît Labre

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"Monsieur le Préfet, avec un enfant de huit ans gravement malade, je ne peux pas rester comme ça, dans un squat..."

Rennes, le 26 août 2022

Monsieur le préfet,

Je vous écris, parce que vous êtes ma dernière chance. Je m’appelle Marinela. J’ai 32 ans. Je suis à Rennes depuis six ans, avec mon mari et mes deux enfants. Depuis six ans, je n’ai ni papiers, ni travail, ni logement. Mon fils est gravement malade. Je n’en peux plus d’attendre. S’il vous plaît, lisez mon histoire.

Je fais partie de la minorité albanaise dite des « Egyptiens des Balkans », un nom hérité de l’époque ottomane. Une ethnie albanophone, différente des Roms, considérée comme inférieure. Mon papa a été tué par la police albanaise, il y a 25 ans. A Pogradec, je vivais dans un squat. En raison de notre couleur de peau, nous, les « noirs », n’avions pas de logement, nous subissions des discriminations pour nous loger, travailler, aller à l’école, se faire soigner…

Les « Egyptiens » sont victimes de racisme. Ma fille ne pouvait pas aller à l’école parce qu’elle était « noire » ! Victimes aussi de la corruption : si vous payez le médecin, peut-être il vous examinera… Voilà pourquoi j’ai fui l’Albanie.

Avant de venir en France, avec la famille, j’ai passé un an en Allemagne. Après un refus d’asile, je n’ai pas voulu retourner en Albanie. Je n’y suis pas retournée depuis sept ans. Je suis venue de Frankfurt à Rennes, en train, directement. Une amie, vivant ici depuis dix ans, m’avait dit qu’en Bretagne les migrants étaient bien considérés. A Rennes, il y a plein d’ « Egyptiens des Balkans », une centaine peut-être, dans la même précarité.

Je suis restée deux jours chez mon amie. Elle a appelé le 115 (Samu social) qui m’a proposé une chambre au Centre d’hébergement d’urgence de Benoit Labre, pendant cinq semaines. Après, je suis partie quatre mois à l’hôtel. En attendant l’issue de ma demande d’asile, le Centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) m’a trouvé un logement à Brest, pour un an.

Quand je suis revenue à Rennes, où j’avais mes contacts et quelques rares amis, dans la même situation que moi, j’ai logé dans des squats, aux Gayeulles. Le parc des Gayeulles, c’est beau ; mais le camp, ce n’est pas bien, il y a des cafards, de la violence. Ainsi jusqu’en 2019 où ma demande d’asile a été refusée. Et où mon fils est tombé malade.

Il souffre d’une otite chronique et d’un kyste à la tête qui lui donnent des vertiges. A cause de cela, il est tombé dans l’escalier. Il s’est cassé un bras et s’est blessé à la tête. Il est resté trois semaines à l’hôpital.

J’ai fait une demande de titre de séjour pour étranger malade. Je dois encore attendre cinq mois la réponse de la préfecture. Ainsi qu’une demande de régularisation après six ans en France. Les dossiers sont dans vos services, monsieur le Préfet. S’il vous plaît : avec un enfant de huit ans gravement malade, je ne peux pas rester comme ça, dans un squat...

Malgré tout, j’aime bien la France. Nous avons droit à 440 € tous les mois pour quatre. Comme ce n’est pas assez, on va au Restaurant du cœur, au Secours populaire. Les gens sont très gentils, notamment ici, au Centre d’hébergement Benoit Labre. C’est bien Rennes, mais on ne peut plus vivre comme ça. A quinze ans, ma fille n’a jamais eu de chambre…

L’hôpital, les soins, c’est très bien. Les enfants sont bien scolarisés. Mon garçon, Eriglent, va à l’école Triangle. Il est en CE 2. Ma fille, Vjosava, est en 3è, à  Kennedy. Ils parlent très bien le français. Eux aussi veulent rester à Rennes. Mon fils n’a aucun souvenir de l’Albanie : il avait 18 mois quand on a fui. Ma fille retournerait bien, mais juste pour dire bonjour à la grand-mère.

Mon mari ne travaille pas, faute de papiers. Il est menuisier, rempailleur de chaises. Moi non plus, je ne peux pas travailler. J’étais peintre au pistolet dans un atelier d’automobile. Ici, il y a plein de travail. On fait des CV. Mais on nous répond qu’il faut des papiers. En attendant, je fais du bénévolat à Utopia 56, association qui aide les exilés.

Je suis revenue au Centre d’hébergement d’urgence pour quelques jours. Je n’ai pas de papiers. Je ne sais pas ce que vais devenir dans une semaine. On est vendredi 26. Je peux rester ici jusqu’au 31. Dans cinq jours…

Monsieur le préfet, s’il vous plaît, c’est vous qui décidez. Six ans sans papiers, sans travail, sans chambre, c’est trop long, trop difficile, trop compliqué. Nous vivons dans le stress d’une expulsion vers l’Albanie.

Monsieur le Préfet, en Albanie, on n’a rien. Les enfants ne veulent pas aller en Albanie. Mon fils avait 18 mois quand on est parti. Il ne se souvient de rien. Si vous nous expulsez, moi, je resterai ici, je me cacherai.

Je ne sais plus qui pourrait m’aider. La vie est méchante.

Marinela.


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