Mat_Je vous écris de Benoît Labre

mat-je-vous-ecris-de-benoit-labre

 « Je n’arrive pas à dormir plus de deux heures dans une maison. Alors, je me suis installé dans une caravane. Le bruit de la pluie sur la caravane, ça me berce. »

Rennes, le 15 août 2022

Chère « docteure Fréville »,

Je ne connais pas votre vrai nom. Ni même votre prénom. Je vous appelle ainsi, parce que vous êtes dentiste, avenue Henri Fréville à Rennes. Et surtout, parce que vous avez été la première personne à m’aider lorsque je me suis retrouvé à la rue.

Je vous écris parce qu’avant d’habiter une maison de l’association Saint-Benoît Labre, vous nous avez acheté à manger, à moi et à deux autres sans domicile, qui dormions sur le carrelage gris du hall de MMA, en face du métro. Vous nous avez permis de prendre une douche tous les deux jours. De nous brosser les dents. Vous preniez nos fringues pour les laver. Pendant quatre ou cinq mois…

A Rennes, je suis tombé sur des bonnes personnes, vous, en particulier, « docteure Fréville ». En centre-ville, les gens sont un peu plus bourgeois. Dans les quartiers, ils sont plus solidaires. Ils savent ce que c’est qu’une galère. Merci.

Chère docteure, je ne sais rien de vous. Ni vous de moi. Ni d’où je viens. Pourquoi j’étais là. Où j’en suis.

J’ai 22 ans, je m’appelle Mathieu, je suis de Tours. Je fais partie d’une très grande famille de gens du voyage. Je vivais dans la même caravane que ma sœur et un de mes frères. On logeait tous dans des caravanes, sur un terrain autour de chez ma mère. Dès 8 ans, j’ai appris à voler. A 14 ans, j’ai commencé à conduire.

Moi, j’allais voler des camions de bouffe pour tout le camp. Je m’occupais de la moitié du camp ! On pouvait être 50, 300, 400… selon les jours.  J’ai fait ça pendant quatre ans. J’avais des contacts, dans le milieu de la boucherie notamment. C’est moi qui ramenais les camions, sans permis. Des conneries de jeunesse…

Je me suis retrouvé à la rue à cause de mon père. Il était violent. Il nous a toujours battus, moi, mes frères, ma sœur aussi. Un jour, il m’a braqué, avec un flingue. Il m’a dit : « Soit tu te barres, soit je te tire dessus. » J’avais 16-17 ans. Chez nous, il y a le patriarche, celui qui s’occupe de toute la famille. Et moi, j’avais pris sa place de patriarche du camp. Il en a eu marre. Il ne supportait plus. C’est aussi simple que ça.

J’ai fait la manche, d’abord à Tours. C’est une belle ville, Tours, avec beaucoup de parcs. Mais je connaissais trop de monde. Je ne pouvais pas faire 10 m sans dire bonjour à des gens. A 19 ans, je suis parti.

J’ai pris le train, sans billet, avec un Tunisien et une Marocaine, des gens de la rue aussi. On devait aller à Saint-Malo, mais on a changé d’itinéraire, on est descendus à Rennes. Voilà. Le Tunisien est reparti à Tours et la dame marocaine, sa famille est venue la chercher. Je me suis retrouvé seul.

A Rennes, personne ne me connaissait, c’était mieux ainsi. J’étais bien à Fréville, près de chez vous, docteure.

A la mission locale, on m’a parlé d’une maison qui allait ouvrir, le Rado. Voilà, je suis là, depuis un an et demi. Je suis le deuxième arrivé au Rado. J’ai signé pour trois ans.

Pour un SDF, c’est un endroit un peu inespéré. Ici, t’es propre sur toi, tu peux manger, tu peux avoir un chien. Les travailleurs sociaux de Benoît Labre sont sympas, ils nous aident bien, on fait du sport, on nous aide à faire nos papiers… Il me manquait plein de papiers, ma carte d’identité, ma carte bancaire. On a tout refait en deux mois. Ma mère avait voulu tout garder, en pensant que j’allais revenir ! Même mon chien, elle n’avait pas voulu me le rendre.

Au début, j’étais dans la maison du Rado de Cesson-Sévigné, mais je n’arrivais pas à dormir plus de deux heures dans une maison. Pas l’habitude… Alors, je me suis installé dans une caravane, près de cette maison. Le bruit de la pluie sur la caravane, ça me berce. J’ouvre la fenêtre et je passe la main quand il pleut. J’aime cette odeur. La caravane, ça m’apaise. J’aime bien la tranquillité.

Ca m’a permis d’avoir une adresse, et de commencer une formation « Parcours plus », à Prisme, dans le quartier Clemenceau. J’y suis jusqu’à fin juin 2023. C’est un peu comme la Garantie jeune, en plus poussé, et payé 845 € par mois. Par rapport à zéro euro, ça change ! J’attends un peu d’avoir les moyens pour passer mon permis. J’ai déjà le permis 125. Mais je n’ai pas la moto qui va avec !

Je le fais vraiment pour bosser. Je veux faire élagueur. Je n’ai pas peur du vide, au contraire, j’adore le vide. Ca m’amuse de grimper dans les arbres. Ca me libère. Ca m’élève. Là-haut, je ne pense plus à rien. J’ai toujours eu envie de faire ça. Petit, je faisais ça à Tours, autour du terrain des gens du voyage. Mais y’a pas beaucoup de formations par ici. Et les patrons ne sont pas très chauds pour prendre en alternance.

J’espère trouver du boulot assez vite. Je suis motivé. Je me fais chier à ne rien faire. Heureusement, la formation m’occupe, de 9 h 30 à 17 h. Je ne vais pas beaucoup en ville. Une fois ou deux en un an. Je ne kiffe pas l’alcool. Et ma chienne Saya n’est pas vaccinée.

Quand je faisais la manche, je n’avais pas de chien. J’aime bien le vélo, alors j’en fais avec Saya, tous les jours. Elle me suit, elle fait ses 10 km. Je ne vole plus depuis que j’ai un chien, ça m’a beaucoup calmé. Parce que, si je me fais « péter », je vais en garde à vue, ou en prison, et le chien se retrouve tout seul ! Avoir Saya m’aide à adopter un comportement plus mature.

Ça fait deux ans que je suis parti. Ma mère et mon père habitent le même quartier de Tours. Pas dans la même maison, parce qu’ils sont divorcés. Quand je pense à quelqu’un, c’est à ma famille, à mes frères, je ne sais pas pourquoi, ils me manquent. L’autre jour, j’ai revu mes frères, ma sœur, ma mère. Elle sait ce que je fais, où je suis. A sa façon de parler, je sais qu’elle m’aime. Et moi aussi je l’aime. Mais je n’aime pas mon père. Parfois, j’ai vaguement envie de le revoir. Je n’ai pas peur de lui. Mais si j’y vais, c’est sûr, on se tape dessus, je lui fous sur la gueule…

Mon rêve, c’est d’avoir un appart. Ou un petit terrain pour y mettre ma caravane. Et de devenir élagueur pour aller, qui sait, tailler vos arbres, chère « docteure Fréville »…

Mat

 

Cliquez ici pour découvrir tous les témoignages