Stéphane_Je vous écris de Benoît Labre

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« Si les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres, ça donne de la haine. Il faut faire prendre conscience aux gens qu’on vit tous ensemble. » 

Rennes, le 2 août 2022

Mesdames et messieurs les élus de la République,

Bien sûr, je suis responsable de ce qui m’a amené, ici, au foyer Saint Benoît Labre. Je pense néanmoins que, depuis trente ans, vous n’avez pas fait ce qu’il faut pour éviter que des gens comme moi déraillent. Je veux vous interpeller, mais aussi interpeller tous les gens. Parce que les politiques ne seraient pas là sans ceux qui votent pour eux.

Je suis né prématuré, au Havre, il y a 54 ans. « On croirait un rat », a dit mon père, en voyant que ne pesais que 1,6 kg. On ne dit pas ça de son fils.

Comme j’étais le premier, tout le monde voulait de moi. Mon père n’était plus le préféré. Il était violent. Quand il rentrait du boulot, je tremblais. Il m’attachait au pied d’une table avec une chaîne et un cadenas, pour que je ne sorte pas. Il me mettait des coups, pour un oui pour un non, jusqu’à 16-17 ans ! J’étais bourré de tics, des énormes tics, par peur de mon père. Il a reproduit sur moi tout ce qu’il avait subi.

Jusqu’à mes 18 ans, on a vécu dans un appartement, sans eau chaude, sans chauffage, sans salle de bain, on se lavait dans une bassine dans la cuisine. Avec mon frère et ma sœur, on avait une chambre pour trois. Ma mère dormait dans la cuisine. Mon père a refait une chambre et une salle de bains, mais quand on est partis !

Mes profs disaient que je pouvais faire ingénieur. Mon père n’a jamais voulu payer d’école. Il n’avait de cesse de me rabaisser, il ne m’a jamais dit « je t’aime ».

Dès que j’ai pu partir, je suis parti. A 19 ans. A 21 ans, j’ai eu un enfant avec la plus belle fille du quartier. On habitait la même rue que mes parents. Ma mère, j’allais lui faire ses courses. Elle était mon poumon, elle m’a toujours dit que j’étais capable. Y’a que ma mère qui m’a dit « je t’aime ». Elle avait des ulcères et des varices, et à 58 ans, elle est morte d’une septicémie. Mon père n’a jamais voulu la mettre à l’hôpital.

L’héroïne, ça a commencé j’avais 18 ans. Au début, par amusement. Ça te fait oublier tes problèmes, tes douleurs, tes tics. J’avais un CAP-BEP de couverture en monuments historiques. Je gagnais assez pour en acheter. Au début, tu sniffes, mais après, tu ne sens plus rien, alors tu la prends en injection. J’ai commencé à faire du gros trafic. J’allais en Hollande, je volais des grosses voitures neuves sur le port du Havre.

A un moment, je suis parti du côté de la famille de ma mère, à Saint-Vaast la Hougue, j’ai travaillé comme couvreur. Je rencontre des gars qui travaillent sur des relais pour téléphones mobiles. Ils cherchaient quelqu’un pour faire du travail sur cordes. C’était une boite de Toulouse. Je suis parti à Toulouse. La boite a coulé. Je me suis retrouvé en reconversion, à l’AFPA, collée à AZF. Le 21 septembre 2000, AZF explose. Je suis blessé, brûlé, projeté sur 15-16 mètres, contre un mur… J’ai vu des choses horribles. On nous propose de finir le diplôme de tourneur-fraiseur à Limoges.

Je reviens au Havre, en vacances, retrouve un copain qui voulait aller en Hollande. J’avais les contacts… On se fait arrêter. Trois mois de prison, à Den Haag, et je perds tout : ma formation, l’appart à Limoges, mes affaires …

Au Havre, on me demande des kilos, je me mets à vendre, à vendre… Je me fais attraper avec un kg d’héroïne, j’allais en Corse! Je me retrouve à la prison de l’Huisne, pendant 18 mois. A la sortie, ma sœur et mon frère me font venir chez eux, près de Bécherel.

Mais à Bécherel, y a rien, juste des bars. Et c’est là que je découvre la cocaïne en base pure, de la guyanaise. En 6 mois, je perds 18 kg. Heureusement, je rencontre Virginie, une femme mariée, ça m’a redonné la pêche, on communique tous les jours.

Mais je perds mon appartement de Bécherel. Mon fils et son beau-père se sont fait arrêter. Pour obtenir un aménagement de peine, ils me balancent. Les flics du Havre viennent me chercher à Bécherel où je fais juste pousser un peu d’herbe pour moi!

Au retour, je me tire à Rennes, j’appelle le 115 et je me retrouve à « monsieur Vincent », le centre d’hébergement d’urgence. Puis ici, au CHRS, depuis novembre 2020.

Là, je suis sous traitement de substitution. Je suis heureux avec Virginie, bien ma tête, j’ai un travail à Emmaüs. Je n’ai plus qu’une envie, continuer à travailler.

Quand t’as un problème, il faut un entourage, des gens qui t’aiment, que tu serves à quelque chose, qu’on ne te juge pas, comme Mélanie, ma référente à Benoît Labre, et les autres. Ils ne bossent pas pour l’argent, mais par passion, par envie d’aider. D’offrir ce qu’on ne m’a jamais donné.

Et c’est ça que je voudrais dire aux politiques. Les gens les plus utiles à la société, on les a laissé tomber. Les travailleurs sociaux, les infirmières, l’aide à l’enfance, les policiers… Moi, je respecte la police. En règle générale, les flics sont là pour aider les gens. Si t’as pas de police, tu vis dans l’anarchie.

Avant, il y avait la police de proximité, supprimée par Sarkozy. Elle connaissait chacun, depuis tout petit. Les jeunes de mon âge, quand ils ont entendu Sarkozy les traiter de racaille, ils ont dit on va niquer l’Etat. Depuis, les pompiers, les flics ne peuvent entrer dans les cités.

On a colonisé l’Afrique, on a fait venir les étrangers, et on les a abandonnés. Leurs enfants se sont senti des moins que rien. Les arabes ont construit la France, on s’est enrichi sur leur dos.

Si les politiques avaient bien parlé aux jeunes des cités, s’ils leur donnaient de l’espoir à l’école, si on ne t’envoyait pas en CAP parce que ton père n’a pas d’argent, si les entreprises étaient obligées de les embaucher, si on les logeait dans de bons endroits, on n’en serait pas là. C’est facile de dire que c’est la faute des étrangers, alors que c’est nous qui avons foutu la merde.

Au lieu de se battre sur des conneries, que les élus donnent des moyens, que les quartiers soient rénovés, comme ici à Rennes, au Blosne. Les gens disent que c’est la faute à Macron, non, ça fait 30 ans qu’on ne fait que des conneries.

Nous avons les lois les plus répressives, et nous sommes les plus grands consommateurs de cannabis. Parce que les gens ne sont pas heureux. Si les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres, ça donne de la haine. Il faut faire prendre conscience aux gens qu’on vit tous ensemble.

Une autre politique aurait pu m’empêcher de dériver. Si la politique avait parlé à mon père, si on s’en était moins pris aux entreprises, s’il y avait eu de l’aide à l’enfance… L’éducation, c’est très important. Si t’es élevé dans l’amour, tu deviens pas toxicomane.  S’il y avait eu juste ça, une reconnaissance, l’amour de mon père, pas de violence. La CMU, le RSA, c’est bien. Mais la politique, ce n’est pas que donner de l’argent. Il faut que les gens se sentent valorisés.

Steph.

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