Hassiba et Djamel_Je vous écris de Benoît Labre

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« Ici, à Rennes, notre fils Wail peut se soigner, apprendre, avoir un avenir. Il est vivant, il a soif de savoir. Et nous, nous voulons travailler. »

Rennes, le 29 mars 2023

Monsieur le Préfet,

Ne voyez, dans cette lettre, ni pression, ni demande de passe-droit. Nous l’avons écrite parce que l’opportunité nous est offerte, à travers l’association Benoît-Labre, de dire la douleur d’une famille qui ne peut pas soigner, dans son pays, un enfant gravement malade. De dire aussi notre espoir à travers tout ce que la France nous offre.

C’est dur pour tout le monde, épuisant pour les enfants, de changer tout le temps d’hébergement, de ne pas savoir où nous serons la semaine prochaine, le mois prochain. C’est dur, surtout, de voir souffrir son fils, de le voir pleurer parce qu’il ne peut pas jouer avec les autres, parce qu’il ne peut pas marcher plus de 150 mètres, de l’entendre soupirer qu’il préfèrerait mourir…

Wail a sept ans. Il est né, à Alger, avec une malformation aux pieds. Il a subi deux opérations, à l’hôpital public, il avait à peine deux ans. Dix jours après l’intervention, il avait comme des taches de sang dans les yeux, puis une décoloration. Il a été opéré de la cataracte. Ça n’a pas marché.

Il aura fallu cinq ans et une admission à Pontchaillou, à Rennes, pour savoir qu’il avait contracté une « uvéite chronique post-rubéole ». Et pour constater qu’il a définitivement perdu son œil gauche, qu’il est malvoyant de l’œil droit et qu’il est toujours handicapé des pieds.

L’hôpital d’Alger avait fini par avouer qu’il n’avait pas les moyens de soigner notre fils, qu’il fallait aller à l’étranger. En août 2020, on est parti en Turquie, destination la plus facile pour des questions de visa. Il a subi deux opérations, une greffe de la cornée, parce que l’œil avait été endommagé, et une autre pour enlever la cataracte. Avec les quatre billets d’avion et les deux mois de location, ça nous a coûté une fortune.

Trois mois après notre retour à Alger, c’était comme avant. Il fallait réagir vite. On n’avait pas le temps d’attendre un visa pour la France. Alors, on a décidé de tout laisser derrière nous, de vendre l’entreprise, le matériel, les véhicules. Nous sommes arrivés en France, clandestinement, le 7 avril 2022, depuis la Tunisie via l’Italie. Nous aurions préféré, monsieur le Préfet, faire autrement.

Après une semaine chez une tante, à Dunkerque, nous sommes venus à Rennes, parce qu’on m’a proposé un travail, à moi Djamel, dans une société d’ingénierie, qui aménageait des salles de L’Orange Bleue à Lyon, Lille, Marseille... Pendant quatre mois, les chantiers étant en retard, j’ai travaillé 16 heures par jour, sans contrat de travail, avec des frais de déplacement ôtés du salaire. Ils profitent qu’on n’est pas en situation régulière...

En novembre 2022, sans contrat ni logement, on s’est retrouvé dehors. Huit jours chez une amie parent d’élève pour Hassiba, des nuits à l’entreprise, puis le 115, une semaine dans un gymnase, une autre là, puis l’hôtel, plusieurs fois, puis trois mois au centre Monsieur Vincent, et maintenant l’accueil Familles, à la Visitation, jusqu’au 31 mai. Après, on ne sait pas.

On peut enfin se reposer un peu. Benoît-Labre, c’est vraiment des gentils. On connaît tout le monde à Monsieur Vincent, on est en contact avec des familles qui sont passées là-bas. Benoît-Labre, c’est comme une grande famille.

Et puis, il y a des bonnes nouvelles. Nous avons été magnifiquement accueillis à Rennes. Dès le premier jour, l’hôpital a diagnostiqué la cause de la malvoyance de Wail. Depuis décembre, grâce à l’Aide médicale de l’Etat (AME), il va chaque mois pour ajuster son traitement antiinflammatoire, qui commence à faire de l’effet. Il va être pris en charge par un centre spécialisé pour malvoyants.

L’Union des associations interculturelles de Rennes (UAIR) s’occupe de notre autorisation provisoire de séjour en tant que parents d’enfant mineur malade.

L’école Trégain est magnifique. Ils ont compris le cas de notre fils. Wail aime bouger, jouer au ballon. Mais il n’y arrive pas. Les autres enfants ne jouent pas avec lui. Il a du mal à écrire, il ne peut pas lire. Il a un peu de retard par rapport aux autres, mais il y a un assistant qui s’occupe tout le temps de lui, pour jouer, pour manger. Il est en CE1, notre fille, Mélissa, est en CM2. Elle est très intelligente, très forte en maths. Ils ont appris le français en 3 mois.

Ici, à Rennes, Wail peut se soigner, apprendre, avoir un avenir. Il est vivant, il a soif de savoir. Et nous, nous voulons travailler. Pas demain, maintenant ! Nous avons, l’un, un diplôme d’ingénieur machiniste dans le bâtiment, avec vingt ans d’expérience, dont quatorze comme dirigeant d’entreprise ; l’autre, entre autre, comme esthéticienne… 

On n’envisage même pas de rentrer en Algérie, parce qu’on n’a plus confiance en personne pour soigner notre fils. Le docteur de Pontchaillou nous a d’ailleurs dit de rester ici, pour les soins, et qu’il allait nous aider vis-à-vis de la préfecture. Tant qu’on n’a pas de papiers, on ne peut pas travailler et comme on n’a pas de contrat de travail, on ne peut pas louer de logement. On ne veut pas faire les choses irrégulièrement.

Comprenez bien notre situation, monsieur le Préfet : nous sommes ici pour Wail, on fait des efforts pour lui, on a vendu l’entreprise pour lui. Nous ne voulons pas qu’on nous dise, demain, que nous n’avons rien fait pour notre fils, pour nos enfants.

Hassiba et Djamel.

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